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Le News de Margot
21 janvier 2015

Monnaie, Crise et Euro

La monnaie unique est entrée en crise ouverte au mois de mai 2010, lorsque les dirigeants des Etats européens ont dû élaborer dans l’urgence un « plan de sauvetage », dans l’espoir illusoire de résoudre le grave problème de solvabilité auquel la Grèce était déjà à l’époque confrontée. Jusqu’à cette date, le bilan de l’euro était seulement négatif. Il est, depuis, devenu catastrophique. Mais cette catastrophe a eu au moins le mérite de précipiter la résurgence du politique au cœur d’un espace européen qui vivait depuis 20 ans au moins sur le mythe infantile de son extinction, et de révéler les insolubles contradictions qui grèvent le projet européen. Le début des années 1990 a vu en effet l’européisme s’installer dans les esprits. Cette idéologie est difficile à circonscrire car ses contours sont flous et car les éléments de croyance qui la déterminent sont beaucoup plus puissants que sa dimension rationnelle et argumentée. Celle-ci se résume généralement, y compris dans les ouvrages spécialisés, à une poignée de lieux communs peu soucieux du réel et de sa complexité, rapidement évoqués pour convaincre un lecteur éventuellement circonspect de la rationalité de la posture européiste. Point trop n’en faut cependant, car une analyse un tant soit peu aboutie conduirait fatalement sur la pente du doute, révélerait les contradictions, les impasses et même la dangerosité du projet, ce que tout une époque s’est employée à ne pas voir. Cette époque, ce moment de l’histoire communautaire qui correspond à sa phase européiste, s’achève aujourd’hui, un quart de siècle environ après son commencement. Quiconque veut bien faire, à propos des évolutions en cours, un effort de lucidité l’admettra aisément. Mais cet effort est d’autant plus difficile pour les partisans de l’européisme que la phase européiste de la construction européenne constitue simultanément le stade terminal du projet communautaire, au-delà duquel l’UE a vocation à disparaître progressivement du fait de son échec et même de sa nuisance. Pendant longtemps, la construction européenne n’a servi à rien ou presque, et elle aurait pu se poursuivre longtemps encore si elle était restée sagement inutile ; mais elle est devenue nuisible, et même dangereuse, et c’est pour cette raison qu’elle est condamnée à disparaître à terme. Son principal aboutissement, et son échec le plus terrible, c’est aujourd’hui l’euro. Tout à son rejet du politique, la construction européenne est en effet parvenue à créer la seule monnaie acéphale de l’histoire, la seule devise qui ne soit pas associée et adossée à un pouvoir politique souverain qui permettrait de la maîtriser et d’en faire un instrument utile aux Etats et aux peuples. L’impossibilité d’une souveraineté monétaire européenne, que chacun peut constater depuis 1999, aboutit à une situation funeste et paradoxale où la politique de change, par exemple, est déterminée par l’Allemagne conformément à ses intérêts, mais aussi par les autorités monétaires américaines, chinoises et japonaises. Le vide politique européen dans le domaine monétaire est donc comblé par des pouvoirs souverains infra ou extra-européens, pour le plus grand malheur économique de la plupart des membres de l’eurozone. Pour sortir d’une telle aberration, il suffirait que l’européisme cesse de façonner l’entendement commun des responsables politiques. Ce n’est certes pas là chose évidente, si l’on observe le contraste saisissant qui sépare depuis longtemps un peuple qui n’a jamais été européiste dans ses profondeurs et des « élites » qui ne veulent être rien d’autre. A quelles idées, à quelles croyances nos hommes d’Etat doivent-ils renoncer pour le salut de notre pays ? Répondre à cette question suppose d’examiner rapidement le contenu de l’européisme. En son fondement, une certitude inébranlable : la construction européenne, qui était originellement conçue comme un moyen au service des Etats, est aujourd’hui une fin à laquelle les Etats doivent se soumettre. Cette conviction, rarement exprimée pour des raisons électorales, dicte néanmoins toutes les prises de décision dans les domaines importants (c’est-à-dire dans les domaines où les citoyens ne sont en général pas consultés). Cependant, par delà cet idéal du sacrifice de l’intérêt national à la grande cause européenne, des différences essentielles séparent les européistes en deux grands courants. Le premier d’entre eux est d’essence fédéraliste. Il entend faire de l’UE une puissance dotée de tous les attributs classiques de l’influence, du rayonnement et du pouvoir dans les relations internationales. Dans sa dimension réaliste, cette ambition s’articule aisément avec l’espoir pré-européiste d’une Europe communautaire facteur de puissance décuplée pour les nations du continent. Elle s’en éloigne en revanche franchement, bien que de manière subreptice dans les discours, en supposant ultimement la disparition des Etats-membres dans un ensemble fédéral englobant qui les viderait de leur contenu politique spécifique. Espérer plus de puissance par l’Europe est une chose, se fondre dans cette Europe pour la rendre puissante en est une autre. C’est pour cela que cet européisme n’a du réalisme que l’apparence : il souhaite construire une entité fédérale avec des dizaines de peuples différents et dont aucun ne souhaite mourir politiquement, là où le fédéralisme n’est viable qu’à l’échelle d’un peuple (Etats-Unis, Allemagne etc). La fédération des peuples européens ne serait pas un facteur de puissance, mais au contraire la geôle de leur impuissance collective, et même à terme leur tombeau. Une telle construction politique souffrirait en effet d’un insurmontable déficit de légitimité, même si elle était de nature démocratique, puisque la démocratie suppose l’existence d’un peuple et d’un seul, au sein duquel le pouvoir délégué temporairement par l’élection est un pouvoir incarné. Sans cette dimension d’incarnation (d’une identité collective), un pouvoir même issu des urnes n’est pas réellement légitime, et sa capacité à agir pour peser sur le cour des événements s’en trouve singulièrement affaiblie, pour autant qu’elle ne soit pas nulle. Cela, les fédéralistes européistes ont fini par le comprendre : dès 2005 pour les plus lucides d’entre eux (avec le rejet du TCE par les peuples français et hollandais), au cours de ces derniers mois pour les plus engourdis, la crise de l’euro ayant démontré de manière spectaculaire l’impossibilité d’accomplir le grand saut fédéral espéré. La seconde grande version de l’européisme est plus difficile à saisir que la précédente. Rarement formulée explicitement, jamais assumée pleinement, elle imprègne cependant bien des jugements, sous-tend bien des prises de position à un degré ou à un autre. Elle constitue en tout cas une version radicalement idéaliste de la construction européenne, ce qui fait sa force souterraine dans bien des milieux. Elle procède du libéralisme contemporain, dans la mesure où elle aspire à débarrasser du politique un continent, l’Europe, qui en a beaucoup souffert. L’UE doit aboutir dans cette perspective au dépassement et à l’extinction du politique par l’association harmonieuse du marché et du droit. Cet européisme est donc porteur d’une utopie antipolitique, qui pousse à l’extrême la logique du libéral-individualisme actuel. Il faut insister sur la dimension pernicieuse de cette option idéologique : tout ce à quoi elle aboutit concrètement se révèle à l’usage nuisible et dangereux. Le vide crée par la destruction du politique a été rapidement comblé par une technocratie hors-sol en mesure de prendre des décisions lourdes de conséquences pour des millions de personnes sans disposer de la légitimité requise, celle que confère l’élection par un peuple souverain. Le rêve d’une Europe post-politique débouche en fait sur la dictature d’une caste irresponsable, sur le despotisme faussement éclairé d’une technostructure d’autant moins acceptée qu’elle ne peut pas incarner « l’Europe » sans ruiner les fondations du projet (puisqu’un pouvoir incarné est d’essence politique), et de toute façon parce qu’il n’y a rien à incarner qui serait pleinement, authentiquement, spécifiquement européen.

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